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LES ASANAS

La pratique d’Ashtanga yoga  regardée par un œil de débutant ou par un néophyte, ressemble, de l’extérieur, à une pratique physique où les postures ont la première place, où le travail sur le corps est mis en avant. En général, la pratique des asanas est devenue une pratique en soi, à tel point que c’est souvent cela que l’on appelle yoga. « Je fais du yoga » revient à dire, je fais des postures et la pratique d’Ashtanga semble, de ce point de vue, une pratique des plus extrêmes.

Or, si l’on se réfère au texte fondateur, celui-là même qui parle d’« ashtanga yoga » Les Yogas Sutras de Patanjali ne nous disent rien de plus que « Sthira sukham asanam» « l’assise sera stable et facile ». C’est dans ce seul et unique sutra que Patanjali évoque la pratique physique.

A la première lecture, la tradition semble avoir peu à dire sur la pratique posturale. Nous passons des heures sur nos tapis à explorer notre dimension physique, et Patanjali, lui, règle la question des asanas en 3 mots, si légers, si vaporeux, plus déroutants que concrets.

Alors, les questions autour de la pratique des asanas se posent. Pourquoi donner tant d’importance au corps ? Qu’est ce qui se joue dans le corps ? N’est ce que le corps ? Pourquoi une telle attirance pour la pratique physique ? Qu’est-ce que « faire » une posture ? Comment pratiquer ? Quel est le sens de ce travail physique ?

 

YOGAS SUTRAS

Je pratique depuis de nombreuses années et suis toujours aux prises avec le corps. Il y a des postures qui me résistent depuis toujours, des douleurs qui persistent, des blocages évidents. Ce sur quoi je me suis tant investie, semble être pour Patanjali un point qui ne demande pas de grand développement.

Ce sutra est à ce point minimal qu’il n’y est question des postures mais d’une seule posture. Ce qui est dit est si simple, il y a qu’une  asana et même, pire, il n’y a pas d’asana. Il n’y a que la tranquillité, le calme, la paix.

Aux vues de  la pratique dans laquelle nous nous sommes engagés, ce vide est pour le moins déroutant.

Ce qu’il y a à rechercher, serait-ce juste de pouvoir s’asseoir tranquillement ?

Nous passerions donc tout ce temps, tous ces efforts pour pouvoir simplement rester assis sans tension ? Autrement dit dans une posture de repos ? Dans une posture où le corps se fait oublier ? Dans une ultime posture où le corps n’est plus ressenti, où il tient tout seul sans effort ?

Tout d’abord, je suis un peu déçue que, du fond des âges, ne vienne que cette minuscule phrase « l’assise sera stable et facile », que rien de plus ne vienne m’aider à comprendre ce que je fais tous les matins sur mon tapis, que rien de plus que ces trois mots aériens ne vienne m’aider à comprendre ce que je fais là depuis de nombreuses années.

Tous mes efforts ne valent-ils que ces trois petits mots ? Tous ces efforts pour juste me retrouver simplement assise, tranquillement ?

Dans cette petite phrase, il est probablement question de la posture de méditation, celle dans laquelle le yogi peut pratiquer pratyahara, dharana et dhyana. Pour pouvoir méditer, il faut que le corps apaisé puisse rester longtemps dans la position assise. Les trois mots de ce sutra sont ceux de la conclusion : Explorez le corps jusqu’à ce que vous puissiez enfin vous asseoir facilement et calmement.

L’effort est alors de ne plus en faire, de comprendre ce qu’est le non effort.

Padmasana est une posture finale, c’est la posture qui conclut la première série. Toute la pratique nous amène vers cette posture ou le corps est stable, prêt au repos. Il n’est plus question alors de considérer la pratique des asanas comme une fin en soi. Padmasana est la fin.

 

LES FLEURS ET LE PAPILLON

Le premier mot à prononcer sur la pratique des asanas est « joie ».

Lors de mon tout premier cours d’Ashtanga, alors que je ne connaissais rien au yoga, j’ai été subjuguée par la pratique des asanas. Ce que je croyais, alors, être un travail sur le corps, m’a tout de suite fasciné. S’il n’y avait pas eu cet aspect physique et ce « quelque chose » qui m’inspirait de la joie, probablement je ne serai jamais venue au yoga. Par la suite, je me suis rendue compte que je n’étais pas la seule à ressentir cette attirance magnétique pour la pratique. Bien entendu, au départ, j’ai pensé que c’était le corps et ses prouesses qui me fascinaient. Il faut bien que la fleur attire le papillon.

Toujours lors de ce premier cours, mon étonnement était tel que je me suis demandé si c’était pour moi. Je venais de découvrir quelque chose d’incroyable qui semblait à ma portée. La pratique venait à moi, avais-je le droit d’accéder à cela ? Dans cette rencontre il y avait deux chocs,  ma sidération devant l’existence d’une telle pratique et la question d’y avoir droit.

J’ai vu la pratique des asanas comme un jeu pour enfant. J’y ai vu ce que les enfants font naturellement : explorer les possibilités du corps et jouer avec tout cela. J’ai vu aussi que cette enfance, ce corps naturel était assez loin de moi, qu’il y avait là comme un interdit ou tout au moins des barrières.

Même si aujourd’hui beaucoup de choses ont changé dans ma pratique, les asanas ont toujours un rapport avec le plaisir enfantin d’être là et la joie simple d’avoir un corps.

Ce souvenir dit aussi que le rapport au corps n’est pas souvent un rapport direct, peut-être même jamais, si on ne pratique pas. Il est chargé de pensées qui conditionnent et ont conditionnées le corps, et qui ont peu à voir avec la présence réelle du corps. Je vois cela dans la pratique intensive des asanas, enfin accéder au corps, enfin accéder à la réalité du corps ; Pas dans le miroir, pas non plus dans la douleur, pas dans la performance, mais dans la réalité de la présence physique ;

Se sentir en vie, se sentir incarné, se sentir chair et os, s’approcher d’une perception directe du corps. Se sentir vivant au-delà même de ce que l’on pouvait espérer.

 

LES ASANAS SONT L’ASSISE

L’importance du travail postural, bien au-delà de cette première expérience, reste absolument vraie. Aujourd’hui, après toutes ces heures passées sur mon tapis, je sais que la pratique est bien autre chose des mouvements corporels. C’est le socle sur lequel repose toutes nos recherches, c’est le poste d’observation, le miroir, l’assise de la pratique, pour en revenir au sutra.

La philosophie indienne parle des différents corps, physique, prânique, éthérique. C’est, il me semble, dans et avec le corps physique que l’observation commence. Ceci n’est peut-être qu’une étape, mais, si je comprends bien ce qui se passe, il faut dans un premier temps éclaircir le corps, comprendre ce qui est là. Pratiquer les asanas, c’est s’exercer à la perception, s’exercer à la compréhension du corps dans un premier temps et puis de sa suite. Toute posture si elle est physique, est aussi psychique, énergétique.

Pourtant, il me semble que les asanas peuvent devenir facilement une fin en soi.

Pour avoir pratiqué au départ, plus une gymnastique très enthousiasmante et dynamisante qu’un « yoga chikitsa », je me rends compte du risque à donner trop d’importance aux asanas. Loin d’amener à la compréhension et à la clarté, la pratique des postures peut tout au contraire accentuer le narcissisme, l’égocentrisme, l’admiration de soi et de ces capacités. Les asanas sont alors une fin en soi. Et ce « en soi » tourne à vide, c’est une tension qui ne laisse pas la possibilité de faire ce que Patanjali nous propose. Être là assis dans le calme et l’équilibre, car il y a toujours une autre posture, une autre série. etc.

L’enseignement d’Anne a, pour moi, contribué à éclaircir cette question et probablement ai-je été également aidé par mes difficultés physiques. Elles me forçaient à la vigilance. Souvent les pratiques matinales ont été difficiles, parfois douloureuses, le corps ne se laissait pas oublier. L’assise n’était pas stable et tranquille. Alors il a fallu pratiquer autrement, trouver plus de douceur. Je n’ai cessé de diminuer l’effort mis dans chaque asana, pour en arriver à une pratique totalement différente.

La première série « yoga chikitsa » dit clairement ce qu’elle est, une pratique thérapeutique. Il ne s’agit pas d’être performant, beau, grand et fort, d’avoir le droit de passage pour la deuxième série, il s’agit de guérir. Le corps est le lieu de cette transformation.

 

STABLE ET FACILE

Il y a 1000 et une façon de pratiquer les asanas, intérieurement et extérieurement. Nous pouvons le constater chaque matin, c’est à chaque fois différent. Il suffit de pratiquer avec une nouvelle intention, un problème, une idée, un changement, c’est différent. La série est pourtant un cadre  strict, l’ordre des postures est précis, il n’y a rien à inventer, il n’y a qu’à être attentif à ce qui se passe.

Patanjali nous donne la recette, la posture doit être stable et facile. Et si ceci vaut pour l’assise, il en va pour tous les autres asanas. Nous n’avons donc, dans chacune d’elles qu’à rechercher l’équilibre et l’aisance, la précision et la légèreté.

Cette nouvelle façon de comprendre le corps est un soulagement, s’il est physique, il est aussi mental. Penser qu’il n’y a pas d’efforts à faire, change tout ; voir ce que ça peut être de ne pas faire d’effort est un changement radical, voir comment le corps est conditionné, par exemple par la pratique du sport où l’on n’a jamais sollicité l’aisance, mais la performance. Découvrir que l’on peut faire autrement avec le corps, dans la subtilité et l’énergie. Comprendre comment utiliser le souffle et non le muscle.

Finalement ce sutra est très apaisant. Son minimalisme et sa simplicité montrent et vident le trop d’attention  porté au travail sur le corps. Il n’y a pas de travail sur le corps à faire. Cette petite phrase pacifie et simplifie le rapport au corps. Patanjali nous dit vers où aller. Ce que le yogi cherche c’est l’équilibre et l’aisance. Le corps, heureux et paisible, disparaît.

 

RENCONTRE AVEC LA TRADITION

Bien que je pratique le yoga depuis de nombreuses années, cette formation a transformé ma pratique à de nombreux points de vue. Essentiellement, elle a été précisée. Le chemin est devenu plus net, plus clair, comme une mise au point. Il s’est resserré. Les deux raisons de ce resserrement sont une approche différente de la pratique et un engagement personnel qui prend une autre dimension vis à vis de cette tradition.

Cette tradition du yoga ne n’était bien sûr pas étrangère mais elle n’avait pas cette dimension dans mon esprit ni dans ma pratique. Elle ne l’influençait pas. L’Inde était loin, les Yogas Sutras légèrement hermétiques, le sanscrit très amusant. Les postures restaient concrètes. Elles étaient donc préférables.

Le yoga est une tradition, si nous l’ignorons, nous ne faisons pas de yoga. C’est autre chose. J’en suis venue à me dire que peut être je n’avais pas fait beaucoup de yoga avant.

Cette fois ça avait réellement de l’importance, l’énergie était différente tout comme la pratique des postures. L’asana était moins mécanique, il y avait comme une raison supplémentaire de la faire et une beauté différente. Enfin ça me regardait.

Concrètement les choses ont changé : il m’est devenu impossible de dire le nom des postures autrement qu’en sanskrit, ma persévérance s’est nettement accrue, les raisons de pratiquer tous les matins sont bien différentes, je n’ai plus de souhait d’aller papillonner autour de autres pratiques. Sur le tapis nous sommes avec nous même, on pourrait dire seuls, l’engagement change quelque chose vis à vis cette solitude.

Mes raisons de pratiquer ont été modifiées, je m’accordais à quelque chose qui dépasse ma propre existence, qui la traverse et poursuit le chemin. Une fois la tradition précisée, je ne pouvais plus répéter les choses machinalement. La pratique devenait plus précieuse.

Comprendre, admettre et apprécier de suivre une tradition a été un grand changement pour moi, un réel engagement, avec son lot de frayeurs et de doutes. Pourtant, je ne peux pas dire que ça soit une décision personnelle ni individuelle. Je n’ai pas réellement choisi. J’ai plutôt laissé faire ça en moi.

Debout les pieds dans le sol, debout le corps vers l’avant, sur un pied le regard vers l’infini, assis les jambes tendues, assis les mains pressant le sol, en arrière. Les mots ne vont pas très bien aux asanas qui sont des actions concrètes avec le corps. Le quasi silence de Patanjali abonde dans ce sens.

Pratiquer les asanas c’est rendre concret, échapper à l’intellect et aux dérives du mental. Si la pratique des asanas semble essentielle, c’est par ce qu’elle corrige nos tendances à l’errance qui sont mentales.

Souvent nous n’existons pas vraiment, nous rêvons que nous existons, nous nous rappelons nos souvenirs d’enfance ou ceux d’il y a trois semaines, ou nous nous projetons dans un rêve qui pourrait peut-être se concrétiser si.. L’asana, quand elle est, ne laisse pas de place au rêve, elle fait la preuve de notre réalité physique. Elle aime à contempler le réel d’une jambe bien tendue, d’un pied sachant ce qu’il fait et du souffle qui est là. Elle dit c’est ici, tout est ici.

Si nous sommes la plus part du temps embarqué par notre mental,  faire  l’expérience de l’asana, c’est connaître notre réalité physique. D’où son importance.

Même si un œil extérieur peut voir dans la pratique de l’Ashtanga yoga, un travail essentiellement physique, plus j’avance dans cette exploration plus j’y vois la possibilité d’y concentrer les 7 autres piliers. Chaque yama et Niyama valent à chaque instant de la pratique tout comme dans la vie. Le souffle toujours présent porte le Prana.  Les dristi, en ramenant la pratique toujours vers l’intérieur vont dans le sens de  Pratyahara. Les vyniasas, les comptes et  l’observation de soi, la présence toujours requise vont vers Dharana et Dhyana.

Pascale MORVAN